Le ministre japonais du commerce extérieur
T13 / Glacière
Comédie satirique inspirée du Révizor de Gogol. À Duckpond, petite ville dans le New Jersey, on se prépare à la visite du Ministre japonais du Commerce extérieur. Le spectateur sera témoin de la crédulité et de l’aveuglement des protagonistes, qui se jouent la comédie du pouvoir et de la peur*
Roger Eichelberry, Maire de Duckpond, persuadé d’être passé à côté de sa vie, croit tenir sa revanche sur le destin. Il convoque les membres de son conseil municipal pour préparer la visite, qu’il pense imminente, du Ministre japonais du Commerce extérieur. Il faut aussi garder le secret, que les habitants soient maintenus dans l’ignorance, le temps de tirer le profit maximum de cette visite providentielle. Le faux ministre et sa suivante (un jeune couple d’acteurs renvoyés d’une tournée de Miss Saïgon) vont profiter de la méprise pour duper ces petits notables désabusés et corrompus, jusqu’au pathétique de la scène finale.
Existe-t-il de comédie sans vérité ni malice ? dit Gogol. Existe t-il meilleur exemple de vérité et de malice que Le Révizor ? lui répond Schisgal et il ajoute Oui, ma pièce a été écrite pour provoquer les rires, mais surtout, suivant ton conseil, elle a été écrite avec un peu de vérité et beaucoup de malice.
Pièce inédite de Murray Schisgal, l’auteur de Love et coscénariste de Tootsie.
*expression de Meyerhold à propos du Révizor
Générique
Avec
Marc Berman (Roger Eichelberry),
Bartholomew Boutellis (Skeeter Chichinsky),
William Edimo (D.P Anderson),
Nathalie Grauwin (Juliet Mac Kenzie),
Daniel Kenigsberg (Docteur George Porter),
Nathalie Lacroix (Marguerite),
Matthieu Marie (Hakara / Léo),
Ariane Pawin (Amy),
Juliette Savary (Toshiba / Sonia)
Marc Schapira (Peter Chichinsky)
Adaptation française Stéphane Valensi, Collaboration à la mise en scène Sonia Ledoux, Collaboration artistique Charles Malet, Scénographie André Acquart assisté de Flore Guillemonat, Lumière Pierre Gaillardot assisté de Marie Boethas, Costumes Rose-Marie Melka, Musique et Son Denis Gambiez, Maquillages Sophie Niesseron, Chorégraphie Sophie Mayer, Construction du décor Atelier Jipanco
Coproduction Cie Stéphane Valensi, ID Production, Ma Bonne Compagnie, Beside, avec le soutien de la Ville de Paris, du CENTQUATRE – Paris, de l’Adami et de la Spedidam. Avec la participation artistique du Jeune Théâtre National et de l’Ensatt. Spectacle créé en collaboration avec le Théâtre 13
Texte édité à l’Avant-scène Théâtre. Les pièces de Murray Schisgal sont représentées par l’agence DRAMA – Suzanne Sarquier.
Note d’intention
Entre Molière et Feydeau – chez Gogol précisément ! –
Il s’agit d’une œuvre inédite de Murray Schisgal, d’une comédie satirique inspirée du Révizor. La pièce de Gogol est transposée de nos jours dans une petite ville américaine. Schisgal entre Molière et Feydeau – chez Gogol précisément ! – choisit le chemin de la farce qui conduit à la vérité. Tout y semble exagéré et pourtant nous sommes renvoyés à nos aveuglements volontaires, à notre monde où la réalité peut dépasser la fiction (discours politiques, escroqueries financières, langage amoureux). Schisgal pose un regard lucide et amusé sur l’homme, condamné à jouer ce qu’il n’est pas.
Les personnages de Schisgal, typés et excessifs, poussés par la nécessité, font du théâtre sans le savoir et empruntent le parcours du comédien de la coulisse au plateau, sans bouger de la scène de leurs propres vies. Caustique ou touchante, la comédie ici ne cesse de poser la question de la représentation, des représentations, miroirs déformants qui font de notre vie « un théâtre ».
La direction d’acteurs s’attachera à orchestrer sons et rythmes pour rendre compte du charme essentiel de la comédie sans rien céder sur la vérité des êtres. Comme le suggère Gogol, moins l’acteur pensera à faire rire ou être drôle plus il révèlera le comique qu’il aura pris de son rôle. Le comique se révèlera tout seul justement par le sérieux avec lequel chaque personnage représenté dans la comédie est pris par ce qu’il fait. Ne pas mentir comme un fanfaron mais avec de l’émotion. Jouer Schisgal comme l’on jouerait Tchekhov avec un clin d’œil aux grands comiques américains (Jerry Lewis ou Danny Kaye).
Nous travaillerons sur les corps-marionnettes soumis, agis par l’intrigue. Les frères Chichinsky sont le corps hystérisé des projections mentales du maire. Ils font le va et vient entre le monde intérieur et le monde extérieur, la maison et la ville, les fantasmes et la réalité.
Le travail sur les ressorts du langage nous occupera tout particulièrement : la puissance comique des personnages découle de leur mauvaise foi assumée. Le maire, cuistre usant de termes châtiés qu’il maîtrise mal, passe de la flagornerie à l’abattement, de la dépression à l’autoritarisme. Pour le Ministre, le comique va naître du crédit que ses hôtes lui accordent et qui le révèlent à lui-même. Falot en privé avec sa petite amie, il devient un séducteur et un acteur inspiré devant son auditoire.
La scénographie épurée, s’attachera à camper l’intérieur rustre et négligé d’une Amérique ordinaire. La lumière rendra compte du passage du temps, du matin où la comédie monte en force au soir quand les personnages vidés de tout espoir, figés, se font pathétiques et graves. Architecture lumineuse de l’espace pour accentuer les perspectives, les irruptions soudaines, le vaudeville.
L’action se passe en 1992. Temps aujourd’hui presque lointain. Donner à sentir le parfum d’une époque pas si lointaine qui n’est plus. Il était une fois… quand l’Amérique et le Japon au faîte de leur puissance économique pouvaient encore rivaliser, avant que crises et catastrophes ne viennent bousculer notre vision de demain.
Stéphane Valensi
Revue de presse
On rit beaucoup
On rit beaucoup car la fable est cocasse et très bien interprétée. Le personnage principal, Roger Eichelberry (Marc Berman), maire d’une petite ville du New Jersey, est comme Willy Loman: il croit que le monde peut être beau, brillant, il croit qu’il peut progresser, gagner sa vie, apporter du bonheur à sa municipalité… Mais il se trompe, il s’égare et prend des comédiens sans talent pour des représentants officiels de l’Empire des signes… Tout finit très mal. S’il y a une verve à la Gogol dans la pièce, largement inspiré du Révizor, elle s’achève dans une mélancolie à la Tchekhov. Là encore, par-delà les sourires, Schisgal nous dit quelque chose sur la manière dont l’être humain peut se fracasser contre des murs qui ne tomberont jamais, comment il rêve l’impossible. Mais il rêve. Armelle Heliot – Le Figaro
Des dialogues brillants
L’histoire est excellente. La galerie de personnages imaginée par Schisgal fabuleuse. A la fois hauts en couleurs, pleins de failles et pathétiques (maire avide et suffisant, épouse exhubérante, juge alcoolique, flic réac, comédien profiteur et manipulateur…). Les situations savoureuses, les dialogues brillants. Fous de Théâtre
L’écriture malicieuse de Murray Schisgal appuie là où ça fait mal
Murray Schisgal a écrit une belle galerie de portraits. A côté du maire magnifiquement bien interprété par Marc
Berman, on découvre sa femme névrosée, sa fille révoltée et féministe, une juge alcoolique, un médecin avide d’argent, le chef de la police – un noir un brin raciste…L’écriture malicieuse de Murray Schisgal appuie là où ça fait mal. Il grossit le trait pour mieux faire ressortir la satire. Et ça fonctionne. Les personnages sont ridicules à souhait et seront pris à leur propre piège. Ils sont trompés par ce faux ministre et sa suivante qui profitent de leur crédulité pour les dépouiller. On rit jaune. Sceneweb.fr
Une satire féroce et caustique de la société américaine.
Dans une scénographie claire de André Acquart, l’intérieur de la maison du maire, Nicolas Valensi a choisi de « jouer Schisgal comme l’on jouerait Tchekhov avec un clin d’oeil aux grands comiques
américains des années 50-60″ ce qui positionne cette hilarante comédie navigant entre Molière et Feydeau dans le registre de la fantaisie souvent loufoque tout en préservant le caractère tragicomique des personnages pour lesquels l’auteur manifeste une certaine tendresse même s’il les secoue sans ménagement.
Il signe une mise en scène alerte et une direction d’acteur rigoureuse qui emportent le spectateur dans la spirale de la folie déboussolant une brochette de clampins qui se montent le bourrichon menée par le maire, cuistre patenté collectionneur d’authentiques couvertes amérindiennes bouffées aux mites dont le pathétisme de la naïveté et de la suffisance réunies est parfaitement rendu par Marc Berman et par sa moitié, une béate hopeful housewife dont l’antienne rêvée est « L’hiver aux Bahamas, l’été à Monte Carlo » jovialement campée par Nathalie Lacroix.
Les deux cabotins opportunistes – auxquels Matthieu Marie et Juliette Savary apportent une belle fraîcheur de jeu dans la caricature – profiteront sans remords de la crédulité de ce public inattendu que composent, en outre, la fille du maire, un poil riot girl qui se verrait bien femme de ministre (Ariane Pawin), un duo d’agents immobiliers traités à la manière des Dupont tintinesques (Bartholomew Boutellis et Marc Schapira), le chef de la police d’origine afro-américaine (William Edimo) illustration de l’intégration réussie au point d’oublier son appartenance à une minorité, la juge qui pointe aux alcooliques anonymes (Nathalie Grauwin) et le médecin spéculateur interprété par le désopilant Daniel Kenigsberg. Froggy’s delight
Un humour mordant et une équipe d’acteurs brillants.
Ce texte original de Murray Schisgal s’inscrit comme un vibrant hommage à l’écriture de Gogol puisque l’histoire de son « Révizor » est ici transposée dans une Amérique ordinaire. On retrouve
un ton satirique mettant en lumière une critique acerbe de la societé, un regard sans concession sur l’opportunisme et la crédulité des hommes. Mais le texte met également en scène les codes de la comédie de boulevard basés sur le quiproquo et le comique de situation. Au delà de son aspect de farce plusieurs lectures de la pièce sont ainsi possibles. L’écriture de Schisgal est caustique et incisive, on apprécie d’ailleurs particulièrement la qualité des dialogues hilarants par moments.
La scénographie renvoie également à l’univers du vaudeville avec ce décor aux multiples entrées favorisant le mouvement continu des comédiens. Stéphane Valensi accentue les caractères de
ces personnages, il en grossit le trait dans une mise en scène sobre et efficace afin de faire écho à la disproportion de la situation. Le plateau épuré devient un véritable miroir déformant de nos
excès. Le grotesque est présent de bout en bout incarné avec brio par Matthieu Marie dans son rôle du ministre japonais, ou encore Marc Berman exceptionnel dans le rôle du maire. On notera
également la très belle trouvaille autour des personnages des frères Chichinsky, sorte de Dupond et Dupont hystérisés et surréalistes, qui contribue à élever la comédie dans une dimension plus
fantasmée.
Une création originale et férocement drôle à ne pas manquer ! Theatres.com
Extrait vidéo
Murray Schisgal
Rencontre avec Murray Schisgal
le jeudi 8 novembre 2012 à l’issue de la représentation vers 21h30.
Né en 1926 à Brooklyn, Murray Schisgal est l’auteur de nombreuses pièces et scénarios. Son théâtre se situe à la croisée de l’avant-garde et du vaudeville, et apparaît comme le digne héritier de l’absurde et du nonsense britannique. Il commence sa carrière d’écrivain en 1960, lorsque Le Tigre et Les Dactylos furent créés à Londres – avant New York et une carrière internationale. En 1967, Murray Schisgal commence à écrire pour le cinéma et la télévision. Jusqu’au succès de Tootsie dont il fut le co-auteur et qui remporta de nombreux prix. Il a travaillé dans une société de production en association avec Dustin Hoffmann, qui a créé nombre de ses pièces. En France, Laurent Terzieff est le premier à monter ses oeuvres : Le Tigre, Les Dactylos, Fragments, Les Chinois au Théâtre de Lutèce, au Vieux Colombier et Love en 1965 au Théâtre Montparnasse – pièce qui sera reprise par Michel Fagadau – ainsi que Le Regard, dans une adaptation de Pascale de Boysson, au Théâtre Rive Gauche en 2003. Il vit actuellement à New York. Ses œuvres sont publiées à l’avant scène théâtre.
« Gogol est un de mes amis les plus proches. Comment expliquer autrement la profonde affection que je lui porte ? Quand il écrit : « il ne me reste plus qu’à imaginer (à cause de la censure) l’histoire la plus simple, la plus inoffensive qui soit. Mais existe-t-il de comédie sans vérité ni malice ? Existe-t-il en effet de comédie sans vérité ni malice ? Et n’ y a-t-il meilleur exemple de vérité et de malice que Le Révizor ? Pas à mon humble avis. De temps à autre, dans les heures sombres de la nuit, j’ai de longues conversations avec Gogol sur l’état du théâtre contemporain, sur les raisons qui l’ont poussé à jeter au feu la deuxième moitié des Ames Mortes, sur les raisons pour lesquelles j’ai demandé à mes enfants de détruire tout ce que j’ai écrit excepté quelques aphorismes. Pardonne-moi mon ami Nikolaï d’avoir écrit Le Ministre Japonais du commerce extérieur. Je l’ai écrit poussé par le respect et l’admiration que je voulais te témoigner. N’as-tu pas toi-même écrit : « Rions et rions autant que possible. Que vive la comédie. » Oui, ma pièce a été écrite pour provoquer les rires, mais surtout, suivant ton conseil, elle a été écrite avec un peu de vérité et beaucoup de malice ».
Murray Schisgal janvier 2011
« Murray Schisgal, une petite musique New-yorkaise »
d’Elisabeth Angel-Perez,
Professeur de littérature anglaise et américaine à la Sorbonne (Paris IV)
« Dans les années 60, à l’heure où de nouvelles esthétiques bouleversent les habitudes théâtrales de l’Amérique, Murray Schisgal signe ses premières pièces à mi-chemin entre la satire, l’absurde et le micro drame poétique. La dérision va sous sa plume se poétiser car Schisgal est de ceux qui croient à la magie du théâtre et de l’Amérique. Murray Schisgal est l’une des voix new-yorkaises les plus authentiques de ces cinquante dernières années … L’identité est toujours au coeur de la quête du personnage. Souvent artiste, plus ou moins talentueux, le personnage de Schisgal joue à se transformer en l’autre : l’autre prospectif qui permet d’imaginer un destin heureux, l’autre nostalgique spectre d’un passé qui ne cesse de ricocher…
Des drames intérieurs qu’il met en scène, il explore le comique tendre, la bienveillance sardonique. Ses comédies s’organisent autour de moments incertains, d’instants où le destin se fait ou se défait. C’est cet entre-deux, entre deux identités, entre deux amours, qui préoccupe Schisgal. On comprend dès lors pourquoi il affectionne tant les formes courtes, particulièrement propices à la capture de l’instant.
Le jeu de rôle, le travestissement, l’illusion, autrement dit le théâtre pour dire le réel, le faux pour dire le vrai: c’est autour de ces axes que s’élabore une dramaturgie centrée sur le personnage et l’acteur. Schisgal croit au théâtre : le théâtre c’est l’instrument de la vérité. A travers ce jeu de rôle compulsif, l’on devine aussi le vestige d’un jeu d’enfant, le désir d’évasion, la nécessité d’aller dans l’ailleurs que propose le théâtre pour peut-être mieux retrouver la réalité : « je ressens le très fort besoin de ne pas vivre perpétuellement et en continu dans le monde réel … le besoin de vivre dans une autre sorte de réalité. »
Chez Schisgal, l’échappée dans l’imaginaire n’est jamais loin de la vérité du personnage ni de la vérité de la vie : dans sa poésie, l’invraisemblable n’est pas l’autre du réalisme. Il en est la matière même. »
Paru dans l’Avant-scène Théâtre (mars 2007)
Entretien avec Stéphane Valensi
Entretien avec Stéphane Valensi
Nouvelles du 13 : Vous avez commencé à vous intéresser à l’œuvre de Murray Schisgal, co-auteur de Tootsie rendue célèbre au cinéma par la prestation de Dustin Hoffman, en travaillant aux côtés de Laurent Terzieff. Peut-on dire que le ton de ses pièces et leur singularité vous ont donné envie de devenir metteur en scène, vous qui n’étiez à ce moment que comédien ?
Stéphane Valensi : J’aime profondément le théâtre de Murray Schisgal. Je me sens très proche de lui, de son univers, de son humour si particulier. C’est effectivement poussé par ce sentiment de nécessité absolue, ressenti à la lecture de ses pièces, qu’un désir d’acteur a trouvé son prolongement naturel avec l’adaptation et la mise en scène.
Nouvelles du 13 : Quels éléments vous ont conduit à porter au plateau Le Ministre japonais du commerce extérieur, pièce inédite d’un auteur connu pour son théâtre où se mêlent à la fois le vaudeville et l’avant-garde ?
C’est suite à sa venue à Paris pour la création de 74 Georgia Avenue, les Marchands ambulants et le Vieux Juif (ma première mise en scène au Théâtre Gérard Philipe à Saint-Denis) que Murray Schisgal m’a adressé Le Ministre japonais du commerce extérieur. J’ai été touché par la force de la satire, la façon dont il s’empare d’une œuvre maîtresse du répertoire, en l’occurrence Le Revizor de Gogol, pour lui rendre hommage tout en composant une fable à la fois personnelle et actuelle. La pièce de Gogol est transposée de nos jours dans une petite ville américaine. Le maire de Duckpond croit tenir sa revanche sur le destin. Il convoque son conseil municipal pour préparer la visite du Ministre japonais du Commerce extérieur mais veut tenir l’information secrète afin que les habitants soient maintenus dans l’ignorance, le temps de tirer le profit maximum de cette visite providentielle. Sur le banc d’un jardin public, un jeune couple d’acteurs renvoyés d’une tournée de Miss Saïgon est amené dans la maison du Maire. Le faux ministre et sa compagne vont profiter de la méprise pour se jouer de ces notables désabusés et corrompus croyant tenir leur rêve de richesse à portée de main. Schisgal pose un regard lucide et amusé sur l’homme, condamné à jouer ce qu’il n’est pas. Les personnages qu’il invente, typés et excessifs, poussés par la nécessité, font du théâtre sans le savoir et empruntent le parcours du comédien de la coulisse au plateau, sans bouger de la scène où se déroule leurs propres vies : chez Schisgal, l’habit fait le moine. Caustique ou touchante, la comédie ne cesse de poser la question de la représentation, des représentations, miroirs déformants qui font de notre vie « un théâtre ». L’action se passe en 1992, un temps qui peut nous paraître aujourd’hui presque lointain. Je voudrais parvenir à relever le parfum d’une époque, pas si éloignée, qui n’est plus. Il était une fois… quand l’Amérique et le Japon au faîte de leur puissance économique pouvaient encore rivaliser, avant que crises et catastrophes ne viennent bousculer notre vision de l’avenir.
Nouvelles du 13 : Qu’est-ce que cette pièce, dont l’action se situe en Amérique en 1992 comme vous le rappeliez, vous permet de dire, de souligner ou de dénoncer de notre société contemporaine ?
Elle parle, comme en son temps Le Bourgeois Gentilhomme de Molière, des aveuglements volontaires que nous nous infligeons. Ce besoin de croire, terriblement humain, si émouvant parfois, mais aussi pathétique, que l’on retrouve dans le crédit inépuisable dont bénéficient les beaux parleurs, que ce soit le discours des politiques, des financiers, ou des amoureux… Nous façonnons nos propres chimères. Au-delà de la condamnation, il y a également de l’amusement et de la tendresse pour le spectacle de la faiblesse humaine.
Nouvelles du 13 : A quoi va ressembler votre spectacle qui dispose d’un scénographe de renom André Acquart et d’un éclairagiste, Pierre Gaillardot, qui a lui aussi collaboré avec de grands artistes de l’opéra et du théâtre ?
J’ai eu la chance de rencontrer André Acquart pour Dernières Lettres de Stalingrad avec Laurent Terzieff ; c’est un grand bonheur de travailler avec lui et de partager l’enthousiasme avec lequel il sert ce projet. Il invente un espace de comédie, une architecture soignée qui libère toute l’étendue où vont se jouer les tensions entre intérieur et extérieur. Je suis également accompagné pour ce projet par Pierre Gaillardot pour la lumière et Denis Gambiez pour la musique et le son, avec lesquels je travaille régulièrement, deux grands artistes eux aussi, fabricants d’images et de temps, de sons concrets réinterprétés musicalement. Nous nous efforçons de créer ensemble un univers ni trop volontariste, ni trop redondant. Enfin je pourrais parler de chacun des dix comédiens, magnifiques, dont certains sont déjà des compagnons de route et d’autres de tous jeunes acteurs, que je considère comme de véritables révélations. Nous faisons tout pour jouer Schisgal comme l’on jouerait Tchekhov avec un clin d’œil aux grands comiques américains. Comme le suggère Gogol, moins l’acteur pensera à faire rire ou à être drôle, plus il révèlera le comique qu’il aura capturé de son rôle. Ne pas mentir comme un fanfaron mais avec de l’émotion.
Nouvelles du 13 : Que pensez-vous d’une récente déclaration de Luc Bondy, relevée dans la Presse : « J’essaie juste de mettre de la vie dans de l’écrit, du présent dans le passé, de créer des climats de vulnérabilité aussi, où les acteurs s’autorisent à être vulnérables et à aller plus loin ». Vous sentez-vous proche de ces préceptes ?
Je crois avoir lu l’entretien auquel vous faites référence et j’y souscris pleinement. Le théâtre est cet espace miraculeux qui permet de faire dialoguer le passé et le présent, les vivants et les morts, l’écrit et les arts de la scène. Il est pour l’acteur l’expérience face à l’inconnu. A l’instar de Michel Leiris pour la littérature, j’invite à considérer l’art de l’acteur comme on peut le faire de la tauromachie. Je place l’acteur au cœur de mon travail et suis persuadé qu’il doit s’appuyer sur sa technique et son expérience pour se confronter à l’inconnu, au danger afin de devenir créateur en libérant son énergie subconsciente. Je pense souvent à cette réflexion de Laurent Terzieff, qui rejoint Luc Bondy : » Vivre c’est quoi ? C’est vivre à court terme avec les moyens du bord. La condition humaine c’est de choisir dans l’ignorance. Ce principe d’ignorance est fondamental. C’est ce qui rend possible la morale : si l’on pouvait choisir à coup sûr, il n’y aurait pas le courage, la solidarité… »
Nouvelles du 13 : Le public pourra rencontrer Murray Schisgal le 8 novembre à l’issue d’une représentation. Qu’attendez-vous de ce moment ?
Ce sera, je l’espère, l’occasion pour beaucoup de découvrir ou redécouvrir un jeune auteur new-yorkais de 86 ans, bien vivant. Il dialoguera avec le public et a prévu de lire une succession d’aphorismes qu’il écrit régulièrement et qui seront publiés dans le numéro de l’avant scène théâtre qui sortira au moment de la création. L’œuvre de Schisgal est je crois, et c’est le propre des grands auteurs, une variation autour de quelques thèmes qui lui sont chers et qu’il n’a jamais cessé d’interroger.
Propos recueillis par Flavien Boiret
Bio
Né en 1966, Stéphane Valensi s’est formé au cours Jean-Laurent Cochet, Véra Gregh et à l’Atelier Andréas Voutsinas. Il a joué au théâtre sous la direction notamment de Patrick Haggiag (Le Chant des Chants de Henri Meschonnic, Trilogie du Revoir de B. Strauss, le Canard Sauvage de Ibsen), Alain Ollivier (Le Cid de Corneille), Jean Gillibert (Les Frères Karamazov de Dostoïevski, Athalie de Racine), Henri Ronse (Les Hauts Territoires de René Zahnd, Comédie de Beckett), Michel Guyard (La Poche Parmentier de Perec, Andromaque de Racine), Philippe Ferran (Fragments de Schisgal). C’est sa rencontre avec Laurent Terzieff, qui l’a dirigé dans Dernières lettres de Stalingrad qui l’a amené à s’intéresser à des pièces inédites de Murray Schisgal. En 2007, il met en scène au Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis 74 Georgia Avenue précédé de les Marchands Ambulants et le Vieux Juif, trois pièces de Schisgal, qu’il a traduites et dans lesquelles il joue. Le spectacle a été repris au Théâtre des Halles à Avignon en juillet 2008 et au Théâtre des Célestins à Lyon en mars 2009. Il a mis en scène Maman revient pauvre orphelin de Jean-Claude Grumberg en juillet 2011 au Théâtre du Bourg Neuf à Avignon (coproduction Act’art 77). Le spectacle sera repris au Lucernaire en septembre 2013. Il vient de mettre en scène Le 20 Novembre de Lars Noren avec Laurent Cazanave.
Rencontres
Rencontre avec Murray Schisgal
le jeudi 8 novembre 2012 à l’issue de la représentation vers 21h30.
Rencontre avec Stéphane Valensi
et toute l’équipe artistique, le dimanche 25 novembre 2012 à l’issue de la représentation vers 17h30.
Entrée libre
Garde d’enfants
Garde d’enfants
dimanche 18 novembre 2012
pendant la représentation de 15h30 (6€ par enfant)
Spectacle de conte / atelier / goûter avec Carole Visconti.
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