Comment igor a disparu
T13 / Bibliothèque
Une comédie déjantée, singulière et audacieuse, qui interroge les liens familiaux.
Igor revient d’un long voyage. Pour célébrer son retour chez eux, ses parents organisent une petite fête et invitent Luc, le meilleur ami d’Igor. Igor fait la connaissance de Nicole, étudiante hébergée par ses parents pendant son absence. C’est le coup de foudre. Mais leur amour demeure platonique, et Igor, incapable de réaliser ses fantasmes s’enfonce jour après jour dans un mutisme angoissant.
Le père, la mère, Luc et Nicole vaquent à leurs occupations, hermétiques au malaise qui habite cette maison et Igor disparait doucement tandis que le Chœur, convaincu d’être inutile, trouve peu à peu sa place.
La famille d’Igor est une famille à part entière. Elle a son fonctionnement propre avec ses rites, ses non-dits, son langage. Je veux inviter le spectateur à assister à l’intimité de cette famille. C’est déjà un spectacle en soi.
Mettre sur scène cette famille c’est interroger le bien fondé des règles qui régissent un groupe. Plonger dans leur quotidien, les parents d’Igor ne peuvent imaginer un autre mode de vie : le remettre en cause, ce serait interroger leur bonheur et la légitimité de leur clan. Ils feront tout pour ne pas voir le mal-être d’Igor. Le modèle familial doit survivre quitte à sacrifier Igor.
Igor ne trouve pas sa place parmi ceux qui l’ont engendré, qui l’ont éduqué. Je souhaite montrer à quel point la structure familiale peut être étouffante, à quel point – parce qu’elle est notre premier repère – elle peut rendre inapte à l’épanouissement personnel et au monde extérieur.
Parce que le cercle familial est rigide, Igor ne sait plus ce qu’il veut, il n’arrive pas à se réaliser. Perdu dans ses propres désirs et l’attente de ses parents, entre ses racines et ce qu’il est, il devient passif. Il disparaît parce qu’il ne peut pas reproduire le modèle familial et que les mécanismes d’exclusion sont totalement arbitraires.
La maison et autour, les ténèbres.
Cette image simpliste est le schéma imposé à Igor par ses parents. Elle est la vision manichéenne du monde dont je veux rire.
La disparition parle de toutes les formes d’exclusion : le déni de soi, la marginalisation, la dépression, la toxicomanie, le suicide. La famille d’Igor symbolise la norme tyrannique qui l’empêche d’exprimer ses propres désirs, qui questionne sa place dans le groupe sans jamais se poser la question de ce qu’il est vraiment.
Comment Igor a disparu est une sorte de témoignage. Sans proposer aucun message, aucune solution, à la disparition d’Igor, j’aimerais seulement mettre un peu de lumière sur le rôle que nous jouons tous face à l’exclusion et à la solitude.
C’est une comédie.
Jean Bechetoille
Générique
Texte et mise en scène Jean Bechetoille
Avec
William Lebghil (Igor),
Nadine Marcovici (La mère),
Laurent Lévy (Le père),
Alice Allwright (Nicole),
Guarani Feitosa (Luc),
Romain Francisco (Le Chœur)
Musique Les Sept dernières parole du Christ de Joseph Haydn – arrangements et création originale Romain Francisco, Scénographie Juliette Minchin, Lumières Vera Martins, Costumes Dorothée Lissac, Collaboration artistique Guillaume Gras, Remerciements Claire Tong
Production : Compagnie du 1er août. Coproduction Théâtre 13 / Paris. Avec le soutien de la SACD, d’Arcadiv et de la Spédidam. Texte soutenu par « À mots découverts ». Avec le soutien en résidence du VPK au Volapük, de la Maison Copeau et du théâtre de L’Escabeau
Note d’intention
Comment Igor a disparu est une comédie sur la famille.
La famille d’Igor est une famille à part entière. Elle a son fonctionnement propre avec ses rites, ses non-dits, son langage. Je veux inviter le spectateur à assister à l’intimité de cette famille. C’est déjà un spectacle en soi.
Je veux mettre sur scène cette famille pour interroger le bien fondé des règles qui régissent un groupe. Plongés dans leur quotidien, les parents d’Igor ne peuvent pas imaginer un autre mode de vie : le remettre en cause, ce serait interroger leur bonheur et la légitimé de leur clan. Ils feront tout pour ne pas voir le mal-être d’Igor. Le modèle familial doit survivre, quitte à sacrifier Igor, qui sera remplacé par son meilleur ami, plus apte à répondre aux attentes de ses parents. C’est une pièce sur l’immobilisme familial et le déni.
Comment Igor a disparu est une pièce sur l’exclusion. Je veux montrer ses mécanismes. Je ne veux pas plaindre Igor mais montrer qu’il a hérité de ce dysfonctionnement et qu’il participe à sa propre perte. Igor ne trouve pas sa place parmi ceux qui l’ont engendré, qui l’ont éduqué. Je veux montrer à quel point la structure familiale peut être étouffante, à quel point – parce qu’elle est notre premier repère – elle peut rendre inapte à l’épanouissement personnel et au monde extérieur.
Parce que ce cercle familial est rigide – ‘‘la famille c’est sacrée’’ – Igor ne sait plus ce qu’il veut, il n’arrive pas à se réaliser. Perdu entre ses propres désirs et l’attente de ses parents, entre ses racines et ce qu’il est, il devient passif. Il disparaît parce qu’il ne peut pas reproduire le modèle familial. Je veux montrer que les mécanismes d’exclusion sont totalement arbitraires. Ainsi, aux yeux du spectateur, Igor semble plus normal, plus sain, que les autres membres de sa famille.
Mais c’est une comédie. Il s’agit donc de faire rire. Je veux faire de la souffrance d’Igor, de sa panique face à l’objet de son désir, un spectacle clownesque. Sa famille ne saisit pas le drame, elle reste totalement imperméable à ses souffrances : l’étrangeté de cette réaction – si courante – doit faire rire. Je veux créer un univers cohérent et crédible afin que le spectateur s’identifie aux personnages et puisse en rire. Je ne veux pas souligner les étrangetés inhérentes au texte – qui doivent échapper aux personnages ; je veux surprendre le public quand la pièce basculera tout à coup dans un monde surréaliste ou fantastique.
Le décalage entre le lyrisme de la langue familiale et la médiocrité de leur existence, l’abîme entre leurs rêves de voyages, leur amour pour le dehors et leur immobilisme, tout ceci doit aussi faire rire.
Enfin, la musique, parfois solennelle, soulignera malicieusement la futilité de leurs existences face au drame qui se joue : la mort d’Igor.
A l’aide d’un dispositif simple – un système de découpe qui éclaire le lieu de vie symbolisé par une table massive – je veux créer une image claire : la maison et autour, les ténèbres. Cette image simpliste est le schéma imposé à Igor par ses parents. Elle est la vision manichéenne du monde dont je veux rire.
Dans les ténèbres le Chœur cherche sa place. Il est l’homme seul qui doit trouver un sens à son existence face à un monde qu’il ne comprend pas, auquel il ne veut pas – ne peut pas – appartenir. Au fur et à mesure de la descente aux enfers d’Igor, un sentiment d’empathie s’empare du personnage du Chœur qui trouve sa place dans la religion. Il se souvient alors de la phrase du Pape : « Toutes les créatures sont liées, chacune doit être valorisée avec affection et admiration, et tous en tant qu’êtres, nous avons besoin les uns des autres » . Il accepte ainsi d’être inutile et d’assister au terrible spectacle de la disparition d’Igor. Il se réalisera – il se valorisera – dans une forme de passivité contemplative.
La disparition d’Igor parle de toutes les formes d’exclusion : le déni de soi, la marginalisation, la dépression, la toxicomanie, le suicide. Sa famille symbolise la norme tyrannique qui l’empêche d’exprimer ses propres désirs, qui questionne sa place dans le groupe sans jamais se poser la question de ce qu’il est vraiment.
Face à ce drame de la vie quotidienne, il y a une réponse facile : le christianisme. Tout homme mérite de vivre dignement. Une idée tout à fait respectable et bienveillante… peut-être même indispensable pour accepter le monde dans sa diversité et sa détresse. Mais c’est aussi une manière passive d’accepter le monde dans sa monstruosité. Un monde où tout est acceptable.
Comment Igor a disparu est un sorte de témoignage. Sans proposer aucun message, aucune solution, à la disparition d’Igor, je veux seulement mettre un peu de lumière sur le rôle que nous jouons tous face à l’exclusion et à la solitude.
Jean Bechetoille, Mai 2017.
Jean Bechetoille
Il commence très tôt sa carrière de comédien dans le film Le Voyage à Paris de Marc Henri Dufresne.
Il se forme en Angleterre à l’Actor’s Theatre School puis, après un tour du monde en solitaire et des études de politique, termine son éducation théâtrale à l’école Périmony.
Jean Bechetoille fonde alors sa compagnie avec trois autres comédiens, la Cie Samson. Il joue dans L’importance d’être constant. Il écrit et co-met en scène Aphrodite/Persée, il anime des ateliers de jeu et d’écriture. Il travaille successivement avec Erick Desmarestz, Rémy Yadan, ex-pensionnaire de la Villa Médicis, Rares Uglean, Deniz Türkmen, Ariane Boumendil, avec qui il part jouer en Chine. Il incarne Arlequin, Raskolnikov, Persée, Algernon, Lucas dans Sang de Lars Noren. Dernièrement, il était Gabriel dans Une famille aimante mérite de faire un vrai repas, mis en scène par Dimitri Klockenbring au Théâtre le Lucernaire à Paris. Récemment il était Saint Thomas dans la série José réalisé par Jean-Michel Ben Soussian.
Aujourd’hui il continue à écrire (il est soutenu par le collectif « A mots découverts ») et s’oriente résolument vers la mise en scène. Il développe avec « le collectif des naufragés » des ateliers de théâtre immersif et éducatif destinés aux lycéens. Il est également, avec Guillaume Gras, à l’origine de la création de la Compagnie du 1er août.
L’avis du jury
Pour ce prix jeunes metteurs en scène, nous nous sommes attachés à définir ce qui devait orienter notre choix : qualités professionnelles et qualités artistiques.
Par qualités professionnelles, nous entendons savoir-faire, artisanat de notre métier dans son sens le plus noble. Agencement de signes pour donner une forme sensible à des mots, des idées, des rêves : direction d’acteurs, scénographie, lumière, costumes, musique, son etc.
Les qualités artistiques pourraient être ce que l’on nomme l’âme, la grâce, le frisson d’un spectacle… C’est ce qui nous dépasse, nous déborde, ce qu’on ne peut pas expliquer. Ce qui relève à la fois d’une grande ouverture au monde et d’une grande intransigeance, d’une grande naïveté et d’une grande acuité. Un mélange d’enfance et de maturité qui s’enracine dans une nécessité profonde, qui prend les chemins de l’audace pour tenter d’atteindre l’inouï et l’inédit. C’est une voix intime et singulière qui parvient à mettre en vibration non pas un public, mais de multiples individualités de spectateurs qui vont y reconnaître leur propre histoire, leurs propres rêves ou leurs propres cauchemars.
Dans ce spectacle, Jean Bechetoille parvient à concilier radicalité et délicatesse. On pense au « réalisme magique » de la littérature sud-américaine ou du cinéma des Frères Cohen. Le mélange des registres de jeu participe à créer une atmosphère aussi névrotique qu’excessivement drôle. La richesse des éléments symboliques et de leurs contrepoints prosaïques donnent une vraie liberté au spectateur de s’emparer – ou non – des multiples signes et sens proposés.
Une proposition singulière et audacieuse qui bouscule les registres habituels.
Jacques Vincey – Président du Jury 2017
Comédien, metteur en scène et directeur du Centre Dramatique régional de Tours