Un siècle d’industrie
Théâtre de l'Opprimé
Comment une entreprise allemande a rendu techniquement possible l’extermination de millions de personnes.
Cette pièce est librement inspirée de l’histoire de la firme Topf und Söhne et de celle de l’ingénieur Kurt Prüfer.
« Au lendemain de la Première Guerre mondiale, le vétéran Otto Krüg rentre dans la firme Kolb, un industriel spécialisé dans le traitement des déchets. Durant les années 20, l’entreprise Kolb échappera aux crises économiques qui déferlent sur l’Europe. Pendant ce temps, le contremaître Ritter oeuvre au sein de l’entreprise pour la sauvegarde « de l’honneur et du sang allemand » pour finalement rejoindre les rangs des SS. 1930, Krüg vit une histoire d’amour avec Gertha Kolb, (la femme du directeur)… En 1940, il assurera le développement de la firme en ramenant un nouveau marché : celui du crématorium de Magdebourg. La SS demande des performances techniques de plus en plus hallucinantes à Krüg. Il est amené à accroître la capacité des fours crématoires et à collaborer à la mise au point des chambres à gaz. Mais les Russes et les Américains gagnent du terrain. Krüg sent que la “guerre contre les Juifs” est perdue. Kolb se suicide. Ritter disparaît dans le Goulag. Gertha survit et témoigne aujourd’hui de l’Histoire. »
Marc Dugowson
Générique
avec
Maxime Berdougo (SS Hugo Schwartz),
Gaétan Delaleu (Hans Ritter),
Naïs El Fassi (Gertha Kolb),
Vladimir Golicheff (Adolph Ferlich),
Tristan Gonzalez (Otto Krüg),
Mathieu Lourdel (Hermann Kolb)
Dina Milosevic (Hilde Hartmann)
Collaboration artistique Fabio Godinho, scénographie Emmanuelle Chiappone-Piriou et Josselin Vamour, création lumières Delphine Perrin & Amandine Gasneau régie Amandine Gasneau, costumes des comédiens, création sonore Hugo Malpeyre, Graphiste Jean-Baptiste Rony, Web designer Raphaël Mignot, Photographe Benoît Jeannot
Prodution Compagnie Jackalope avec le soutien du 5, atelier du 104 de Paris et du Théâtre 13.
Le texte de la pièce est publié aux Editions L’Avant-Scène – Les Quatre-Vents.
Note d’intention
Note d’intention
De par mon éducation et l’enseignement scolaire classique que j’ai reçu, j’ai vu comme beaucoup d’entre nous, les mêmes documentaires standards, les films classiques, lu les mêmes articles et livres qui traitent de la seconde guerre mondiale, des camps. Mais ce qui m’a touché dans Un siècle d’industrie, loin des clichés nazis des manuels scolaires, est la façon dont l’auteur décrit le processus de criminalisation de toute une société qui conduit à l’implication individuelle et quotidienne des personnes dans le crime de génocide. L’auteur ne réprimande pas l’Histoire mais partage avec nuances ses propres doutes avec subtilité et paradoxalement beaucoup d’humour oxygénant les scènes.
Je veux challenger le spectateur, qu’il réfléchisse, qu’il se pose lui aussi certaines questions. Pas de morale, ni pathos, ni réponses (d’ailleurs je ne les ai pas). Je veux confronter l’audience au processus de mise en oeuvre politique, idéologique et technique du génocide et à la participation des individus à ce processus. Il faut que le public soit face à deux mondes qui cohabitent (acteurs/spectateurs) et qui s’entrechoquent.
Cette entreprise qui s’était placée au coeur du processus d’extermination de masse des Juifs d’Europe n’appartenait pourtant pas aux organisations criminelles d’Etat de l’Allemagne nazi. Elle a cependant rendu techniquement possible l’extermination de millions de personnes. Donc, plus de 70 ans après, l’Histoire et la Morale nous ont permis ainsi qu’aux dirigeants d’Etats de tirer les conclusions du plus grand génocide mondial d’hier.
Lorsque l’on constate aujourd’hui les génocides, tel reste le cas en Arménie, au Rwanda et au Tibet, on entend certains prétendre d’avoir appris de ces leçons de l’Histoire.
Pourtant, nous sommes sincèrement en mesure d’affirmer que nous avons tout mis en œuvre pour éviter les potentiels génocides de demain…
Si le nazisme est ce qui est décrit dans cette pièce, alors, les nazis nous entourent partout aujourd’hui. Ils sont peut-être mêmes dans la pièce où vous me lisez à cet instant et n’ont pas forcément le profil type du blond aux yeux bleus, puisque ce pourrait être nous.
Hugo Malpeyre
Scénographie
Des piles de vêtements propres, parfaitement repassés, pliés.Une trame, s’étirant virtuellement à perte de vue, délimitant la zone de jeu et quadrillant l’espace.
L’ordre et la rigueur. Un système.
Puis, à mesure que se déroule l’intrigue et que les piles sont renversées, les vêtements envahissent l’espace tout entier de la scène et le chaos qui s’installe ainsi vient nier les fantasmes d’efficience et de discipline des protagonistes. La scénographie imaginée pour Un siècle d’industrie se donne comme une strate se superposant au texte de Dugowson, avec lequel elle entre en friction. Ce faisant, elle introduit la possibilité d’un espace interstitiel où, par-delà les mots, ressurgit violemment le réel.
La scénographie est le support par lequel l’innommable, cette barbarie que tait volontairement la pièce et prétendent ignorer les personnages, s’impose à tous. L’horreur de ces corps qui s’amoncellent – jamais montrés parce que non montrables – se double d’une autre, plus insidieuse : celle d’une idéologie qui s’insinue en chacun.
Emmanuelle Chiappone-Piriou et Josselin Vamou
L’auteur
Marc Dugowson
Marc Dugowson est édité chez L’avant-scène théâtre
Après dix années de pratique théâtrale, Marc Dugowson se consacre exclusivement à l’écriture dramatique. Il est l’auteur d’une quinzaine de pièces dont certaines ont été créées et radiodiffusée, notamment Habiller les vivants, Revue, La Société des Cendres, Des Biens et des Personnes et Celle qui courait après la peur, créé au Théâtre de l’Union, CDN du Limousin en 2002 dans une m.e.s de Paul Golub et repris au Théâtre 13 / Paris. La même année, il publie Un Siècle d’industrie, qui est montée en 2006 au Théâtre de l’Union, CDN de Limoges par Paul Golub.
En 2005, il obtient le premier Grand Prix de littérature dramatique pour Dans le vif. En 2008, Marc Dugowson est récompensé par le prix Théâtre de la SACD tandis qu’il participe à l’ouvrage collectif co-édité par L’Avant-Scène Théâtre et la Comédie Française autour du thème de la famille.
En 2011, il participe aux 36e rencontres de Hérisson au cours desquelles sa pièce Cannibales Lampions est mise en espace par Anne-Laure Liégeois tandis qu’il écrit un Cabaret de la Grand Guerre sur une commande de Paul Golub. Dans le vif a été créé en 2012 par Paul Golub au Théâtre Firmin Gémier/La Piscine et que Des biens et des personnes sera créé en 2013 par Pierre Pradinas au CDN du Limousin.
Dans le prolongement de plusieurs autres de ses textes, sa dernière pièce, Obstinés par la nuit, a été publiée par L’Avant-Scène – Les Quatre-Vents en 2010. Qu’elle emprunte les chemins de l’Histoire ou de la fantasmagorie, son œuvre, documentée et engagée, se situe à la croisée entre la restitution de la mémoire collective et l’affirmation des individus comme sujets. Elle tente aussi de peindre les liens entre l’intime et les rapports sociaux de domination.
Revue de presse
Dans les poubelles de l’Histoire
Une entrée en matière convaincante pour la septième édition du prix du Théâtre 13 des jeunes metteurs en scène. Hugo Malpeyre s’empare d’une pièce de l’auteur français Marc Dugowson, « Un siècle d’industrie » (2002), une œuvre qui interroge la responsabilité des industriels allemands dans le processus d’extermination des juifs.
Marc Dugowson, auteur d’une douzaine de pièces, appartient à une génération d’auteurs (qu’ils soient romanciers ou dramaturges) qui ne cessent de se pencher sur les déchirements de la grande Histoire, et notamment la période de la Seconde Guerre mondiale. Librement inspirée d’une histoire vraie, Un siècle d’industrie (créée pour la première fois en 2006) est une pièce dérangeante, qui ausculte le comportement de certains industriels allemands pendant la guerre – en l’occurrence un fabricant de fours crématoires – et la collusion de fait entre ceux‑ci et le système de déportation et d’extermination. Une imposture qui perdure parce que « tout le monde y trouve son compte », comme l’écrit l’auteur.
L’intrigue mêle habilement la grande Histoire et la saga familiale. Nous sommes dans les années 1920, alors que l’Allemagne se remet difficilement de la Première Guerre. L’entrepreneur Kolb, prêt à tout pour vaincre les difficultés économiques et assurer la survie de son entreprise, jette son dévolu sur un personnage arriviste et sans scrupules, l’ingénieur Krüg. Quelques années plus tard, Kolb, tétraplégique et diminué, fermera les yeux sur les contrats les plus douteux passés par Krüg avec les nazis qui dirigent les camps de la mort. Tout comme il fera mine de ne pas voir la liaison qu’entretient sa femme Gertha avec le même Krüg, dont elle aura un enfant – une même hypocrisie enveloppant les relations d’affaires et les rapports familiaux.
Des idées plus que des moyens
Pour produire un théâtre de qualité, les idées comptent plus que les moyens mis en œuvre. Hugo Malpeyre et ses deux scénographes ont visiblement fait avec les moyens du bord, à commencer par ces pancartes, « Auschwitz », « Erfurt », placées de chaque côté de la scène pour signaler les lieux de l’action. Mais ils ont perçu, et c’est l’essentiel, la logique d’une pièce ramassée qui procède par raccourcis pour mettre en évidence le caractère implacable de la société capitaliste et son obsession de la concurrence jusqu’à l’aveuglement. La tension dramatique monte à mesure que les années s’égrènent, l’horreur de la Shoah se devinant derrière les soucis de l’ingénieur : le gaz utilisé pour supprimer les détenus qui attaque le métal des gaines d’aération, ou les rendements démentiels qu’il faut atteindre.
Malgré ses moyens limités sur le plan matériel, la mise en scène d’Hugo Malpeyre est cohérente et efficace, et cela même si elle donne parfois l’impression d’appliquer des recettes : les changements de costumes à vue, la bande sonore décalée jouant la carte de l’easy listening, voire les vêtements épars sur le plateau pour symboliser les corps des disparus et la montée de l’horreur. Pas forcément plus original, le fauteuil roulant du paralytique, bricolé avec un Caddie, et qui donne au personnage de Kolb une dimension caricaturale. Mais on reconnaît pourtant un metteur en scène prometteur à la façon saisissante de suggérer le basculement du destin de certains personnages (le comptable juif Ferlich et sa maîtresse Hilde), ou de représenter la catastrophe finale et la prise de conscience tardive de Kolb.
Des marionnettes de l’Histoire
La pièce opère aussi parce que la distribution, très homogène, comporte de vrais talents en devenir. Gaëtan Delaleu, dans le rôle de l’ouvrier Ritter, ancien communiste devenu nazi, fait froid dans le dos. Tristan Gonzalez campe de façon sobre et virile cet ingénieur Krüg devenu complice de la pire folie meurtrière pour asseoir son ambition. Et surtout Naïs el‑Fassi, jeune comédienne au jeu déjà très maîtrisé, interprète remarquablement Gertha – sans doute le personnage le plus intéressant de la pièce, se jouant de façon machiavélique des hommes qui l’entourent. Tous contribuent à la réussite d’un spectacle esthétiquement abouti qui donne à voir les protagonistes de ce drame pour ce qu’ils sont, c’est‑à‑dire des marionnettes de l’Histoire.
Fabrice Chêne – Les Trois Coups
Tarifs & réservations
Prix des places :
Plein tarif : 16€
Tarif réduit : 12€
Tarif très réduit : 10€ (groupes à partir de 10, moins de 15 ans, abonnés Théâtre 13)
Théâtre de l’opprimé
78/80 rue du Charolais
75012 Paris
Réservations
site du Théâtre de l’Opprimé
ou téléphone : 01 43 45 81 20
Accès
Métros : ligne 1 (Reuilly-Diderot), ligne 8 (Montgallet), Ligne 6 (Dugommier), ligne 14 (Gare de Lyon – sortie 9)
RER : lignes A et D (Gare de Lyon – sortie 9)
Bus : ligne 29 (Charles Bossut)
Vélib : station n° 12011 (160 rue de Charenton), station n° 12106 (3 rue Roland Barthes)