Les bienfaisants
T13 / Bibliothèque
Une troupe de jeunes comédiens part en tournée au Togo, jouer un spectacle retraçant l’histoire du Sida. Cette pièce a pour but de sensibiliser la population au dépistage et aux moyens mis en place dans leur pays pour se soigner.
Sur place, tout devient flou. Ils sont partagés entre la volonté de venir en aide aux démunis, leur besoin de soulager leur conscience, leur ambition artistique, l’envie d’être ensemble, de voyager mais aussi de fuir leur quotidien.
Pendant une représentation, dans les coulisses, ils découvrent le résultat d’un dépistage anonyme. L’un des personnages est séropositif. Mais lequel ?
Dans le groupe, les amitiés de longue date, les problèmes d’ego, les jalousies et les histoires insouciantes de coucheries des uns et des autres prennent une tout autre dimension. Ils se questionnent alors sur leurs réelles motivations et les limites de leur action.
Générique
avec
Dalia Bonnet
Nicolas Bresteau
Hugo Brunswick
Jacinthe Cappello
Christophe Ntakabanyura
Juliette Wiatr
Scénographie Emmanuel Mazé
Production Compagnie Qui Porte Quoi?
La création
Ce spectacle est né d’une envie de montrer ce qui n’est pas censé être sur la scène : l’aventure d’une troupe dans les coulisses d’une représentation. L’envers du décor, l’intime, ce qui normalement ne peut être que surpris, ou épié. Alors, ce qui se passe en coulisses ne serait plus seulement l’envers secret et prosaïque de la magie présente sur scène, mais un théâtre à part entière, avec son intrigue, ses drames, et un temps particulier, lié à celui de la représentation en train de se faire.
Cette recherche d’un temps urgent, d’un temps en crise permanente nous a amené à inventer un processus de création à l’image du spectacle. Il nous a semblé que les situations, les relations entre les personnages, le texte, les enjeux, le décor ne pouvaient exister que conjointement, qu’ils devaient naître ensemble. Il fallait que nous ayons le moins d’avance possible sur le spectacle.
Pour cela nous avons défini un thème : une troupe de comédiens français en tournée en Afrique pour représenter une pièce sur les origines du sida. Des personnages : une metteure en scène, quatre comédiens et leur correspondant dans un village africain. Et une situation : Lors d’une représentation, dans les coulisses, les comédiens découvrent un test hiv au résultat positif.
Pour mettre en place cette forme d’écriture au plateau, nous avons donc réuni une troupe de comédiens qui ne se connaissaient que très peu, qui avaient chacun une raison personnelle pour intégrer la troupe, pour pouvoir retrouver sur le plateau cette réalité d’un groupe qui n’est réuni que par les circonstances et un projet commun.
Les fondations de notre travail sont les situations inspirées par la trame très précise définie par l’auteur, et les réactions primaires, instinctives des comédiens à leur énoncé. Nous leur donnons des consignes concrètes, principalement d’ordre physique et sensoriel, et des contraintes à respecter qu’ils sont seuls à connaître. Ainsi souvent les comédiens entament une scène avec la connaissance préalable qu’ils ont de leur personnage, une action à mener, un état physique à faire grandir, et une grande attention à leur partenaire, dont ils ignorent les motivations.
Ce parcours que nous leur définissons les oblige à être très attentifs à l’histoire qu’ils portent, et en même temps souples et curieux par rapport aux autres comédiens. C’est ainsi que le temps présent, alerte, que nous cherchons, peut naître sur le plateau.
C’est à partir de cette expérimentation que nous travaillons ensuite à l’écriture et à la mise en scène du spectacle. L’auteur écrit des dialogues qui sont inspirés des réactions brutes, épidermiques, des comédiens. Et la mise en scène et la scénographie sont guidées par le désir de mettre en forme cette matière.
Grâce à ce processus de création qui fait la part belle à la surprise, à l’instant, nous espérons pouvoir faire vivre au spectateur un moment de théâtre fort et immédiat.
Note d’intention
Les Bienfaisants parle de l’envie d’agir, de sa légitimité, et des raisons qui poussent à aider, à s’intéresser au monde, aux causes humanitaires. Cette pièce parle aussi et surtout des relations humaines au sein d’un groupe, de l’amitié, de l’amour, de l’incompréhension, de la communication.
Quand une équipe part faire de l’humanitaire, il y a toutes sortes de raisons qui poussent ses membres à agir. Je ne parle pas d’intervention d’urgence, mais de missions de prévention, de développement. Déjà, et surtout, il y a une envie de se tourner vers les autres, de sortir de sa propre vie, de regarder ce qui se passe autour de soi. Dans Les Bienfaisants, nous tenterons de ne jamais oublier cette généreuse motivation. Mais la vraie bonté est très rare, on a besoin de reconnaissance, de raisons pour agir. Nous avons eu envie de parler de ces autres raisons : découvrir un pays, voir le pire pour se sentir mieux, se déculpabiliser, avoir l’impression de sauver le monde, se prouver que l’on en est capable. Je suis partie plusieurs fois monter des projets au sein d’une association agissant auprès des enfants au Ghana, et j’ai pu moi-même ressentir chacune de ces raisons et d’ailleurs m’en sentir coupable. Mais le plus important n’est-elle pas l’action en elle-même ? C’est cette question que nous allons nous poser tout au long du travail. Les personnages vont se rendre compte que ce qu’ils gagnent à travers cette expérience est beaucoup plus fort que ce qu’ils offrent.
Je suis partie deux années consécutives à Tafi Atome au Ghana avec l’association AFROPARTH. Accompagnée d’artistes français, togolais et avec les enfants du village, nous avons réussi à mêler nos cultures et à apprendre les uns des autres. Ces expériences en Afrique de l’Ouest ont été pour moi très importantes. Elles ont changé mon regard sur les autres, sur ma vie, sur mes envies.
De plus, il me paraissait important de placer cette troupe dans un lieu inconnu, et lointain, un lieu où il est impossible de fuir le groupe, où les individus prennent une importance énorme, où l’on se recrée une famille. Dans un autre contexte, au quotidien, ce groupe n’existerait pas, il n’a de sens que dans cette aventure.
J’axe tout mon travail de mise en scène sur la notion d’urgence, sur l’idée que c’est une situation de temps « en crise » qui va permettre d’amener les personnages à faire face à leurs contradictions. C’est leurs réactions spontanées qui va mettre au jour le conflit entre leurs bonnes intentions et la manifestation de leurs préoccupations personnelles immédiates.
La situation d’urgence dans laquelle ils se trouvent, réunis dans les coulisses d’un spectacle en train de se jouer, permet de concentrer le jeu. S’ils n’ont que quelques minutes pour se changer, entrer en scène et en même temps faire face à ce qu’il se passe à l’instant dans les coulisses, leurs paroles et leurs actes doivent être directs, précis. Ce dispositif me permet d’extraire l’essence des thèmes que je veux aborder.
Cette notion est également relayée par la scénographie. Au-delà d’une représentation réaliste de coulisses de théâtre, je cherche à obtenir l’impression d’un équipement provisoire, fragile, une tentative avec les moyens du bord de créer un espace protégé pour les comédiens. Cela me semble une façon d’évoquer l’Afrique, où tout lieu est toujours défini par son emploi, et non par son architecture : un porche de maison ou un coin de rue peut devenir, s’il le faut, les coulisses d’un théâtre ambulant. Cela participe également à créer un temps glissant, fuyant, qu’il faut organiser et gérer. Au milieu de tissus tendus pour créer des murs, sur des nattes qui cachent le sol, à côté de leurs costumes qui s’amoncellent, les personnages ne peuvent jamais vraiment s’installer, ils sont vulnérables à tout ce qui peut advenir.
Par l’urgence qui va gagner la troupe, par leur vision de la solidarité, du partage, de l’envie d’agir, je voudrais que le public puisse trouver sa place, se positionne, se reconnaisse dans chacun des personnages. Nous ne voulons pas être les prophètes d’un monde meilleur, ou les témoins d’un monde injuste, mais soulever le débat sur l’intérêt à agir. Est-ce un devoir ? Est-ce un droit ?
Gaëlle Bourgeois