Le dernier voyage de sindbad
T13 / Bibliothèque
Un spectacle musical en hommage aux « passagers de la malchance », d’après un récit poétique et politique sur le thème de la migration. Avec douze interprètes dont une artiste aérienne, avec des musiques d’Orient et d’Occident pour fil conducteur et un décor épuré, Thomas Bellorini nous fait entendre le texte sublime et universel du grand auteur italien.
Sindbad, capitaine d’un vieux bateau, transporte des « marchandises humaines ». Inspiré du personnage des Mille et une nuits, ce marin accueille en sa soute des migrants qui rêvent d’un Eldorado européen. Passagers de la malchance, ce sera pour tous un dernier voyage. S’il fait référence à un bateau albanais, coulé par un navire de guerre italien en 1997, ce récit poétique et politique est universel. Italien lui aussi, féru de musique et de poésie, Thomas Bellorini se saisit de ce conte tragique pour évoquer la grande Histoire qui bégaie. Si le texte d’Erri de Luca fait écho aux drames des migrants, son histoire s’ancre dans bien d’autres récits. Aux confins de légendes et de rites, comme une ode désespérée à la vie. Ebloui par l’écriture chorale de ce texte, Thomas Bellorini – qui a une formation de chef de chœur -, entend restituer cette multitude de voix. Il puise par ailleurs dans les vers d’Aller-Simple, un recueil de poésie de l’écrivain italien sur ce thème des migrants, pour créer un climat sonore de langues en s’appuyant sur les différentes origines des comédiens de son équipe…
Sylvie Martin-Lahmani – Alternatives théâtrales.
Présenté en partenariat avec le Centquatre-Paris
Générique
Avec Fabien Ardiri, Brenda Clark, Anahita Gohari, Stanislas Grimbert, Simon Koukissa, Frédéric Lapinsonnière, Adrien Noblet, Céline Ottria, François Pérache, Marc Schapira, Gülay Hacer Toruk, Zsuzsanna Varkonyi et Jo Zeugma
Traduction Danièle Valin (éditée chez Gallimard), Direction musicale Thomas Bellorini, Lumière Victor Arancio, Costumes Jean-Philippe Thomann, Son Nicolas Roy, Collaboration artistique Anahita Gohari, Assistanat Marie Surget
Co-production Compagnie Gabbiano, Le Centquatre-Paris, avec le soutien du Théâtre 13 / Paris
Note d’intention
La poésie de Erri de Luca est ma compagne de chevet depuis des années. Familier de cette langue qui transpire de vérité et de musicalité, j’ai été bouleversé à la découverte de l’une de ses rares pièces de théâtre, Le Dernier Voyage de Sindbad, traversée aux mille visages, vieille comme le monde et tragiquement contemporaine.
Sur le pont, le Capitaine Sindbad, ridé des caprices de la mer et témoin de la brutalité du monde. Annonciateur de la tragédie et meneur de l’épopée, il relate, depuis sa cabine et accompagné par son maître d’équipage, ses aventures de terre en terre sur la mer.
Depuis la soute, les voyageurs. Orchestre ambulant de silhouettes qui ont leurs instruments de musique pour tout bagage, et leur voix pour exister. Un chœur de Babel, qui, puisant sa source dans nos diverses origines musicales et culturelles, bravera la traversée pour tenter d’atteindre le sol européen. Ces figures porteront l’espoir, le courage et l’humanité de ceux et celles, prêts à tout pour atteindre l’autre rive.
Déployant ses ailes, une danseuse aérienne emportera le collectif contre vents et marées et accompagnera la houle de ce funeste voyage.
J’ai voulu mettre en scène ce spectacle musical comme un oratorio – à travers la composition de musiques d’ailleurs qui accompagnent ce court texte de Erri de Luca. La musique a ainsi une place prédominante dans ce spectacle avec la présence sur scène de comédiens tous musiciens ; des voix, un accordéon, une contrebasse, un violon, une guitare, un vibraphone, des percussions.
La musique sera le langage universel de ces « passagers de la malchance » venus d’Orient et d’Occident. C’est elle qui, secrètement, donnera à entendre ce qu’aucun ne peut dire et chantera les silences de cet oratorio.
Un pacte brut et poétique
Cet ensemble d’hommes et de femmes – envisagé tel un chœur de tragédie antique – cherche à braver les frontières en tentant une traversée maritime. La mise en scène s’articulera autour de cette confrontation entre cette notion de frontières et la liberté sensuelle de la mer.
La transposition poétique est de circonstance pour traiter ce voyage : le traitement scénique du spectacle s’appliquera à disséquer les choses pas à pas, de manière brute, dans le silence et l’épure.
La lumière efface les frontières entre ciel et mer
D’inspiration impressionniste, le traitement de la lumière entre contrastes et confusion, épouse un parcours non linéaire, de l’aube au coucher du soleil, annonciateur du lever de lune qui présidera à la traversée nocturne. En fond de scène, un cyclo, sur lequel s’imprimeront et se confondront les couleurs du ciel et de la mer.
Cloisonnement des espaces physiques et des espaces sonores
Quelques éléments scénographiques découpent l’espace et cloisonnent les niveaux de jeu.
Un pont traverse le centre du plateau, du fond de scène jusqu’au public. Au-dessus, la cabine du capitaine : lieu intérieur qui rend possible l’intimité (traitée, au micro HF, par un son amplifié). On alterne entre parole intime échangée avec le maître d’équipage et parole publique (le conte adressé aux spectateurs avec la voix projetée).
A l’horizontalité du pont et de la mer, répond un filet de pêche vertical, manipulé par les matelots. Espace à parcourir de haut en bas, il enferme, suspend, attrape, attache, flotte….
Un contre poids, manipulé à vue, élève la danseuse aérienne. Passagère déguisée en homme, elle se jette à la mer puis réapparaît dans les airs. Une sacrifiée du voyage, réincarnée en colombe de la paix.
Du parlé au chanté, voguent les figures
Les comédiens n’incarnent pas les personnages des voyageurs mais les représentent à travers eux-mêmes. Figures traversées par la parole et le chant offerts au public, ils constituent un chœur qui souffle, respire, chante, rit, rage, pleure.
Un travail d’écho se fait à travers les différentes langues d’origine des interprètes.
Le répertoire chanté voyage à travers nos inspirations et cultures. Les points d’ancrage : musique d’Europe de l’est, portée par une comédienne et chanteuse Hongroise ; musique orientale, portée par une chanteuse et musicienne turque ; un chant traditionnel antique polyphonique avec tous les interprètes…
La musique, passagère multiple de ce voyage à sens unique
A part égale avec le texte du poète, la musique est un élément fondamental de ce spectacle. Le point de départ en est un orchestre hybride portant l’épure d’un oratorio. Un « monstre » à douze têtes qui va se métamorphoser au cours du temps. De consonances jazz, il peut devenir très classique, rejoindre le chant traditionnel pour aller ensuite vers les musiques populaires. La musique ici n’a pas de frontières. Elle va soutenir, entrainer, éclairer, résister.
Thomas Bellorini
Erri de Luca
Il naît en 1950 dans une famille bourgeoise napolitaine ruinée par la guerre. Il hérite de son père le goût des livres et de la lecture. Il a commencé à écrire très tôt.
Vers l’âge de 16 ans, il se déclare communiste et, ayant quitté le domicile familial, s’engage rapidement dans l’action politique révolutionnaire. En 1969, il adhère au mouvement d’extrême gauche « Lotta Continua » et en devient l’un des dirigeants, responsable de son service d’ordre, jusqu’à sa dissolution à l’été 1977.
Entre 1978 et 1980, il est ouvrier chez Fiat où il a participé à plusieurs mouvements sociaux. Puis, en 1980, fuyant les lois spéciales de son pays, il se retrouve en banlieue parisienne où il travaillera sur des chantiers.
Ayant aussi vécu des expériences humanitaires en Afrique ou en Bosnie, il se sent proche aujourd’hui du mouvement altermondialiste.
Erri de Luca publie son premier livre Une fois, un jour en 1989. Par la suite, ses romans se situent tous à Naples et ont tous un fondement autobiographique. Des récits comme Acide ou Arc-en-ciel, rencontrent un vaste écho en Italie et en France, tant auprès de la critique que du public. Il obtient le prix Femina 2002 pour Montedidio.
Il collabore aussi au Mattino, le principal journal de Naples, et à divers autres périodiques.
Le texte L’ultimo viaggio di Sindbad est son seul texte théâtral.
« J’ai écrit ce Sindbad en 2002. Les poissons de la Méditerranée se nourrissaient déjà de naufragés depuis cinq ans. Cela se passait à Pâques en 1997. Sur l’Adriatique, un navire de guerre italien essayait de bloquer la route d’un gros bateau albanais en éperonnant sa coque. Il coula à pic immédiatement et plus de 80 Albanais périrent. Le bateau s’appelait Kater I Rades et son naufrage inaugurait l’infamie.
J’ai emprunté un marin aux Mille et une nuits pour le faire naviguer sur Notre Mer avec le chargement de la plus rentable des marchandises de contrebande : le corps humain. Il n’a pas besoin d’emballage, il s’entasse tout seul, son transport est payé d’avance et pas à la livraison.
Ce Sindbad est un concentré de marins et d’histoires, depuis celle de Jonas, prophète avalé vivant par la baleine, à celles des émigrés italiens du 20ème siècle, avalés vivants par les Amériques.
Ici, Sindbad en est à son dernier voyage. Il transporte des passagers de la malchance vers nos côtes fermées par des barbelés. »
Erri de Luca
Revue de presse
… C’est une démarche comparable qui conduit Thomas Bellorini, compositeur et metteur en scène, lorsqu’il monte une adaptation d’un texte de l’Italien Erri De Luca, Le Dernier voyage de Sindbad. (…) Dans un espace noir, il s’agit d’une sorte d’oratorio, sobre, presque sévère dans l’économie de jeu, de déplacements, mais très profond, puissant, sincère et beau. On serait sur le pont d’un bateau, en haute mer. Une acrobate donne le mouvement ascensionnel et dansant, l’espérance. Sur le pont, les protagonistes, douze interprètes, qui disent et chantent. Certains magnifiquement. Ce sont les musiques réunies, Orient et Occident mêlés, musiques spécialement composées ou choisies dans des répertoires qui disent bien l’exil, l’arrachement aux racines, mais la fierté et la grâce, qui font la matière essentielle de la transposition d’un texte qui date d’il y a quelques années. On n’est pas ici dans le pur présent de ce qui se passe aujourd’hui en Méditerranée, mais que l’écrivain italien continue de suivre comme on a pu le lire dans un reportage saisissant, une double page du Monde. Un très beau travail, sensible et sans faiblesse, à hauteur de l’ambition et de l’humanité d’Erri de Luca, de son courage intellectuel et physique, qui est restitué et touche profondément. Armelle Héliot – L’Avant-Scène
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