Copies – un certain nombre ( 21 visages ? )
T13 / Bibliothèque
Un sens protéiforme, un noeud de questions suivi d’un noeud de réponses, pelote inextricable de courtes phrases inachevées se coupant, se chevauchant presque, que la voix d’un père et celui d’un fils, multipliée par trois, s’assènent à la face, pour tenter d’élucider le mystère qui les réunit, la parenté, la filiation, et comprendre un peu de ce qui a bien pu arriver qui dérégla tout.
La pièce est écrite pour deux acteurs : l’un joue le rôle du père, l’autre ses fils.
Un père donc a abandonné son fils à l’assistance publique; son éducation ne lui semblait pas réussie. La mère s’est suicidée. De lui, il s’en ait fait créer un autre avec les mêmes gênes, « une raclure des cellules, une poussière une miette », à l’identique. Malheureusement, le clonage effectué par un scientifique malhonnête ne restera pas limité à un seul exemplaire, il y en aura un certain nombre d’autres.
Chaque révélation du père faite à chacun des fils qu’il rencontre, la copie Bernard 2 et l’original, Bernard, sort d’un mensonge que le père semble entretenir vainement.
Est-ce le mensonge? Ou bien plutôt l’accouchement d’une vérité que son inconscient aurait occulté?
L’inéluctable surgit : Bernard, l’original, supprime sa copie, Bernard 2, et se tue après.
Le père, seul, accablé, rongé par la faute, rencontre alors Michael, une autre copie, plus « éloignée » de l’original, comme neutre, qui lui, vit très bien sa condition d’orphelin. Le fait d’avoir trente pour cent de gènes en commun avec la laitue, dit-il, le rassure totalement. La science moderne lui a appris l’humilité.
Générique
traduction Dominique Hollier
mise en scène David Ayala
avec Jean-Claude Bonnifait, Lucas Bonnifait
assistante à la mise en scène Sophie Affholder
création sonore et musiques Laurent Sassi création Lumières Jean-Michel Bauer
création vidéo Julie Simonney chorégraphie Téo Fdida costumes Valérie L’Hôte photographies Fabienne Augié régie générale – scénographie Denis Tisseraud
administration de production Silvia Mammano diffusion Valérie Maillard Pasttec
Production Compagnie La Nuit Remue (Montpellier) Coproduction sortieOuest, domaine départemental de Bayssan (Béziers) / Théâtre de l’Union, Centre Dramatique National du Limousin / Selectron libre (Paris).
Avec l’aide à la production de : la DRAC Languedoc Roussillon, du Conseil Régional du Languedoc Roussillon. Soutien logistique : Le Festin, Centre Dramatique de Montluçon / La Mégisserie de Saint Junien, Ouïe/Dire ; compagnie d’art sonore (Périgueux), et de Catherine et Vincent Calonne. Coréalisation : La Loge (Paris) et OTP Communauté de Communes de Ventadour, (Lapleau, Corrèze). Création soutenue par l’Espace Comme Vous Emoi (Montreuil).
L’Arche est éditeur et agent théâtral de la pièce.
Mise en scène
Comment les textes nous parviennent-ils ? Comment « tombent-ils » entre nos mains, sous nos yeux? Quel est le déclencheur pour susciter le désir de les monter ? Aujourd’hui, c’est un ami et acteur qui me dit « tiens lis ça ». Jean-Claude Bonnifait m’a fait lire Copies de Caryl Churchill et m’a dit « j’aimerais le jouer avec mon fils ». J’ai trouvé ça très beau. Le texte d’abord, et la démarche. Le bon sujet, la belle forme, les bonnes personnes, au bon endroit. Donc on y va, on le fait.
D’abord, c’est nouveau pour moi : une forme dramatique, une pièce.
Après les travaux sur Louis Ferdinand Céline et Guy Debord (précédents spectacles qui étaient des adaptations de textes, récits, romans ou critiques : Scanner et Ma Peau sur la Table) ou avant les adaptations avec Armatimon – Furie des nantis.
Ici la forme est circonscrite, achevée, précise : c’est la pièce de Caryl Churchill dans la traduction de Dominique Hollier. Tout de suite, nouveauté : nouvelle forme, écriture saisissante, en ellipse, dont les fondations sont comme secrètes, enfouies. Une mise à jour de l’étrangeté du « quotidien » dans les rapports filiaux et paternels. Théâtre de l’intime et de l’étrangeté totale de la simple « présence » humaine. On pense tout de suite à la densité sensible, à la nervosité des personnages des films de John Cassavetes et parfois à l’inquiétante étrangeté des films de David Lynch. Ce qui est en jeu : Qui est là ? presque comme la référence hamletienne (Who is here? du début de la pièce) ou autrement dit qui sommes-nous pour nous mêmes, pour soi et pour les autres. Breton disait plutôt quelque chose comme : « qui je hante ?… ».
Référence au clonage évidemment, au double, à la « série » des doubles : qui sommes nous si nous sommes plusieurs « identités identiques » clonées sur terre ? Le « centre » (comme dirait E. Bond), la préoccupation de la pièce de Churchill c’est l’identité, mais c’est aussi une variation poétique et ontologique sur le fait de vivre, de donner la vie, la reprendre, la manipuler, la dérégler. C’est une interrogation forte et puissante (dans une écriture d’une apparente et déconcertante simplicité) sur la possibilité scientifique et quasi réalisable de faire « muter » l’être humain, de le sérier, le démultiplier dans le système mimétique.
La richesse et subtilité de l’écriture de Churchill réside d’abord dans sa structure musicale : rupture, peu de ponctuation, phrases « abandonnées », « ouvertes », utilisation peu commune de la césure, de la syncope (comme les tirets dans les pièces d’Ibsen) qui doivent produire du jeu, des tensions de regards, de silences, de « choses secrètes » mises à jour par l’acteur. À nous de les traquer, de les déceler et de les faire résonner, remonter à la surface. Au contraire des dispositifs scéniques et scénographiques « complexes » de nos précédents spectacles (Bond / Shakespeare ; Louis Ferdinand Céline ; Debord) je souhaiterais explorer avec ce texte la très grande simplicité d’un théâtre de l’intime et de la grande proximité avec le spectateur.
Où seuls les visages et les corps des acteurs deviennent le « site », le cadre de la résolution du conflit, et celui du mystère absolu de la simple présence humaine. Il est beaucoup question de « visages » dans la pièce. Je pense à la phrase de Bond où il dit que c’est en scrutant le visage de ses contemporains (des gens dans la rue) qu’il peut commencer à se mettre à écrire un drame ; comme si les visages étaient autant de cartographies des séismes intérieurs, de « cartes du Temps » de nos vies contemporaines. Polar – Thriller psychologique … avec Copies, on mène une enquête sur les personnages et sur nous même. C’est une introspection et un dévoilement par le mensonge et la manipulation du langage, où les « personnes » articulent les mots simples du langage parlé courant mais dont la mise en ordre (ou désordre) par l’auteur dans la bouche des personnages fait sourdre des traumas et des commotions avec lesquels ils doivent vivre, se débattre, comprendre, élucider et… se consoler pour trouver du sens à leur vie(s) « copiées ».
De cette mise en « mots secrets » des traumatismes, de ces dévoilements, de ces résolutions, va naître toujours chez le lecteur, une émotion profonde, diffuse, comme un profond tourment qui infuse tout. Évidemment on pense à des duels, à des combats avec l’arme des mots. Ces mots mettent « à nu » l’esprit et le corps de l’acteur et « dévisagent » les êtres intérieurs. Et c’est en cela que les références au regard d’une caméra de cinéma qui vient « scruter » la magie du visage et du corps humain est quelque chose qui peut induire fortement des pistes de travail.
J’ai redemandé à Laurent Sassi, créateur son et musicien d’accompagner ce travail comme il l’a fait précédemment sur Scanner et sur Ma Peau sur la Table. Il me semble évident que son univers et ses propositions de véritables paysages sonores peuvent faire vivre et résonner ce texte d’une manière très forte et très personnelle. Laurent Sassi est aujourd’hui un fidèle de la compagnie La Nuit Remue. Son travail n’est jamais complémentaire, il fait partie intégrante de la recherche et de « l’objet théâtral », comme un personnage de la pièce.
Cette fois-ci pas de vidéo, mais de la photographie séquentielle. A deux ou trois moments, comme le feuilleton rémanent (ou la réminiscence) de la vie cachée des personnages hors-champs. Vraies vies ? Vies inventées ? Manipulées ? Simulacres ? Fausses visions ? Le théâtre peut proposer la sienne. La photographie projetée et « scénarisée » peut brouiller les pistes.
La lumière de Jean Michel Bauer viendra nous aider à faire ce « voyage » pour tenter de retrouver les 21 visages de la pièce. A moins qu’il n’en y ait que deux… ou qu’un seul.
David Ayala
L’auteur
Caryl Churchill
Née à Londres en 1938, Caryl Churchill grandit au Canada puis revient en Angleterre pour suivre des études de littérature à l’Université d’Oxford. C’est à cette période qu’elle écrit ses premières pièces : Downstairs, You’ve No Need to be Frightened et Having a Wonderful Time. Elle compose ensuite de courtes pièces radiophoniques pour la BBC : The Ants en 1962, Lovesick en 1967, Abortive et Not, Not, Not, Not Enough Oxygen en 1971 et Schreber’s Nervous Illness en 1972. Elle écrit également pour la télévision : The Judge’s Wife diffusée sur la BBC en 1972, The After Dinner Joke en 1978 et Crimes en 1982.
Au début des années 1970, elle se dirige vers la scène et travaille comme auteur résident au Royal Court Theatre de Londres entre 1974 et 1975. Elle collabore également aux travaux de compagnies telles que « Joint Stock » et « Monstrous Regiment » dont le mode de création repose principalement sur des ateliers d’improvisation avec des auteurs. Durant cette période de recherche et de travail intense, elle écrit de nombreuses pièces qui deviendront des succès. Entre autres, Light Shining on Buckinghamshire et Vinegar Tom en 1976, Fen en 1983, A Mouthful of Birds en 1986 et Serious Money en 1987, couronnée à cinq reprises meilleure pièce de l’année.
Devenue auteur dramatique reconnue, Caryl Churchill continue d’animer des « workshops » qui l’aident dans son écriture. Ainsi, par exemple, Mad Forest est écrit après un voyage en Roumanie en 1990. En 1994, elle écrit The Skriker ; en 1999 Far Away ; en 2002 A Number. Sa dernière pièce, A Dream Play, créée au National Theatre en 2005, est une nouvelle version du Songe de Strindberg.
L’Arche Éditeur publie en français Top girls, Septième ciel (Cloud Nine, 1979) et A Number sous le titre Copies. Cette dernière, créée en 2002 au Royal Court de Londres et consacrée meilleure nouvelle pièce par l’Evening Standard Award, est créée pour la première fois en langue française par le Rideau de Bruxelles.
Caryl Churchill est un auteur de premier plan qui se singularise par sa finesse de style et son humour quasi surréaliste.
Le metteur en scène
David Ayala
Comédien
Comédien depuis 1990, travaille notamment sous la direction de Dan Jemmett dans Ubu (rôle du Père Ubu), Jacques Bioulès dans Folianne, Rideau, La Vedette, Le roi Gordogane et Lionel Parlier dans Toto le Momo, dont il est aussi le concepteur, Joël Dragutin dans le Mariage de Figaro (rôle Figaro), La Baie de Naples, La Double inconstance (rôle Arlequin), Messieurs les ronds de cuir, Sandrine Barciet dans La Mouette, Paul Golub dans Le Songe d’une nuit d’été (rôle Puck), MacBeth (rôle Malcom), Hamlet sur la route (rôle Hamlet), Celle qui courait après la peur, Marie Montegani avec Andromaque (rôle Oreste), Geneviève Rosset dans Britannicus (rôle Britannicus), L’École des femmes (rôle Horace).
En 2003 / 2004, il interprète le rôle de De Florès dans Dog Face mis en scène par Dan Jemmett, ainsi que le rôle du Père Ubu dans Ubu en tournée en France, à Paris (Théâtre de la Ville – Les Abbesses) et à l’étranger.
En 2004 / 2005, interprète le rôle de Coriolan dans Coriolan de Shakespeare mis en scène par Jean Boillot au TGP de Saint-Denis et en tournée.
En 2005, interprète le rôle de Fantomas dans Fantomas revient de Gabor Rassov mis en scène par Pierre Pradinas avec Romane Borhinger au TEP Paris et en tournée. En 2008, L’enfer (d’après Dante) de G. Rassov mis en scène par P. Pradinas.
En 2009 et 2010 rôle d’Edgar dans Le Roi Lear de Shakespeare mis en scène par JC Fall rôle de Richard dans Richard III mis en scène par JC Fall rôle de Chantebise / Poche dans La Puce à l’Oreille de Feydeau mise en scène de Paul Golub.
En 2010 création de La Comédie des erreurs de Shakespeare, mise en scène de Dan Jemmett.
Mises en scènes au théâtre
Armatimon – Furie des Nantis d’après Timon d’Athènes de Shakespeare et la Furie des Nantis d’Edward Bond, En attendant Godot de Samuel Beckett, Docteur Faustroll d’Alfred Jarry, Paradoxe sur le comédien de Diderot, Nomen Nescio de Clarinval, Plume d’Henri Michaux, Moha le fou, Moha le sage de Ben Jelloun, Sous le phare obsédantde la peur d’après Henri Michaux, Scanner – nous tournons en rond dans la nuit et nous sommes dévorés par le feu – d’après Guy Debord. Ma Peau sur la Table (Féérie), d’après les derniers romans et interviews de L.-F. Céline.